Gagner la guerre des récits : pour une stratégie de communication européenne à l’ère de la post-réalité

Les Rencontres d’Aix 2025 ont mis en lumière un axiome fondamental pour l’avenir de l’Union : la bataille pour la compétitivité et la souveraineté se gagnera ou se perdra aussi sur le terrain de l’information et de la perception, là où se trouve selon le dernier cahiers de tendances de Meta-Media la post-réalité. L’Europe ne fait pas face à un simple défi de relations publiques, mais à une fracture systémique de son espace communicationnel. La confiance dans les institutions s’érode, la désinformation est utilisée comme une arme de guerre et le récit européen est inaudible face à la simplification populiste et à la fragmentation des audiences.

Quel diagnostic lucide de cette fracture et quelles recommandations stratégiques pour que l’Union européenne passe d’une communication défensive et technocratique à une offensive narrative capable de reconstruire la confiance et de défendre le projet démocratique ?

Le diagnostic d’une fracture communicationnelle

Quatre ruptures majeures, identifiées lors des débats, paralysent aujourd’hui la capacité de l’Europe à communiquer efficacement.

L’effondrement de l’espace public commun

L’élargissement des sources d’information s’est accompagné d’une chute de leur fiabilité et d’une « fragmentation des centres d’intérêt ». Les citoyens sont enfermés dans des « bulles de filtre » et des « chambres d’écho » qui renforcent leurs propres visions du monde. Le résultat est une « réduction de l’espace mental disponible » pour un débat rationnel et une perte de la réalité partagée, fondement de toute délibération démocratique.

La crise de confiance envers les émetteurs traditionnels

La discours s’appuyant sur des preuves risque de devenir « invisible, irrelevant, victime d’un déficit de confiance. Les médias traditionnels, malgré leur processus de vérification, sont désintermédiés sur les plateformes et voient leur pertinence contestée. Cette perte de confiance s’étend aux responsables politiques, provoquant un « transfert vers les influenceurs » dont la crédibilité n’est pas le principal moteur. L’Europe, en tant qu’institution, souffre de cette défiance généralisée.

La désinformation comme arme stratégique

La « guerre se poursuit par d’autres moyens ». La désinformation n’est plus un épiphénomène mais une arme stratégique utilisée par des puissances étrangères pour déstabiliser nos démocraties de l’intérieur. Ce que la Russie n’obtient pas par les armes en Ukraine, elle peut l’obtenir par l’influence politique en Moldavie. L’IA ne fera qu’accélérer la production et la diffusion de ces manipulations. Le « réarmement » de l’Europe doit donc être impérativement informationnel.

La faiblesse intrinsèque du récit européen

Face à des récits populistes qui jouent avec les peurs et des plateformes qui donnent la « prime au sensationnel, à l’irrationnel », le discours européen apparaît complexe, distant et technocratique. Il peine à générer de l’émotion et de l’engagement. L’Europe manque d’un narratif puissant, capable de créer de la « fierté collective » et de donner un sens aux transitions en cours, laissant le champ libre à ceux qui n’offrent que des « idéologies de diversion ».

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Pour contrer cette fracture, l’UE doit opérer un changement de paradigme radical dans sa communication, articulé autour de quatre impératifs.

Passer de l’information à la connexion émotionnelle

La mission de la communication européenne ne doit plus être de simplement transmettre des faits, mais de créer un lien.

  • Communiquer les politiques de manière « plus claire et émotionnelle » en utilisant le storytelling pour illustrer l’impact concret des actions de l’UE sur la vie quotidienne.
  • Identifier et s’appuyer sur des « relais avec les leaders d’opinion », y compris des créateurs de contenu et des influenceurs alignés sur les valeurs démocratiques, pour atteindre de nouvelles audiences avec authenticité.

Mener une contre-offensive contre la désinformation

L’UE doit se doter des moyens de se défendre activement sur le front de l’information.

  • Déployer rapidement le projet de « bouclier démocratique » de la Commission européenne.
  • Créer un fonds européen, sur le modèle de l’International Fund for Public Interest Media, pour « investir dans des médias indépendants » dans les pays voisins (Moldavie, Balkans…) et au sein de l’UE, afin de garantir un pluralisme de l’information face aux manipulations.
  • Traiter la désinformation comme une menace sécuritaire, en renforçant les capacités du Viginum frnaçais à l’échelle européenne pour détecter, analyser et exposer les campagnes d’ingérence.

Réguler le cœur du problème : le modèle économique des plateformes

La régulation ne doit plus seulement porter sur les contenus (modération a posteriori), mais sur les mécanismes qui favorisent leur diffusion toxique.

  • Aller au-delà du DSA/DMA en légiférant pour limiter, voire interdire, les « recommandations algorithmiques » de publicité micro-ciblée à caractère politique, qui sont le cœur du modèle économique de la polarisation.
  • Revoir les règles d’attribution des revenus publicitaires sur les plateformes pour cesser de financer les comptes les plus viraux au profit des plus responsables.

Construire et incarner un récit européen mobilisateur

L’Europe doit définir et promouvoir activement son propre récit, une vision positive et puissante de son rôle dans le monde.

  • Incarner le récit de « l’Europe comme anti-dote à la brutalisation du monde ». Communiquer non pas sur des directives, mais sur une mission : la défense d’un modèle fondé sur la coopération, la justice et le droit face à la loi du plus fort.
  • Promouvoir activement les succès concrets qui génèrent de la fierté (l’euro, les projets de réindustrialisation) et les transformer en symboles d’une Europe qui agit et protège.
  • Lancer une grande initiative d’éducation aux médias et à l’esprit critique à l’échelle de l’Union, car la défense la plus efficace reste un citoyen éclairé et outillé pour « prendre de la distance ».

La survie du projet européen dans un monde fragmenté et hostile dépend de sa capacité à reconstruire un espace public sain et à gagner la guerre des récits. La communication n’est plus une fonction de soutien ; elle est une condition sine qua non de notre souveraineté. En adoptant une stratégie audacieuse, en passant de la défense à l’offensive et en osant incarner une vision, l’Europe peut non seulement résister à la vague de désinformation et de populisme, mais aussi et surtout, inspirer à nouveau ses citoyens et le monde.

Manipulation et polarisation de l’opinion : de la vulnérabilité numérique en Europe à la souveraineté narrative de l’Union européenne

L’Union européenne se trouve à la confluence de défis informationnels sans précédent. Le rapport 2025 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sonne l’alarme sur les tensions croissantes exercées sur nos valeurs démocratiques, notamment par la désinformation et la manipulation en ligne lors des processus électoraux récents.

Parallèlement, l’analyse percutante de l’Observatoire du Long Terme sur la « Manipulation et polarisation de l’opinion » dissèque avec une précision chirurgicale les mécanismes par lesquels le numérique est instrumentalisé contre nos démocraties, proposant aussi des pistes pour « sortir du chaos ».

Face à cette « infodémie » persistante, qui exacerbe les tensions et mine la confiance citoyenne, l’UE ne peut se contenter d’une posture réactive. Il est impératif d’inaugurer une nouvelle ère de communication proactive, résiliente, ancrée dans nos valeurs fondamentales, et capable de projeter une souveraineté narrative européenne.

Diagnostic partagé : une démocratie européenne sous pression informationnelle

Les constats des rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE et de l’Observatoire du Long Terme convergent :

  1. L’intégrité électorale est menacée : Le rapport de l’Agence souligne l’impact délétère de la désinformation, des discours de haine et des ingérences étrangères sur les élections européennes et nationales de 2024. La régulation de la sphère en ligne, bien qu’initiée avec le Digital Services Act (DSA), peine encore à endiguer ces flux toxiques, comme l’illustrent les exemples de manipulations algorithmiques et d’astroturfing détaillés par l’Observatoire (cf. l’exemple de la présidentielle roumaine).
  2. Les droits fondamentaux sont érodés : Au-delà des élections, c’est l’ensemble des droits fondamentaux qui est mis à l’épreuve. La montée du racisme, de la xénophobie, des violences faites aux femmes, et les risques liés à l’intelligence artificielle non maîtrisée, sont autant de symptômes d’un espace public numérique où la manipulation émotionnelle prime souvent sur le débat rationnel.
  3. La confiance citoyenne est en berne : L’Observatoire met en lumière comment la « sous-information » et la « production excessive de fausses informations » créent un « vide » que la rumeur numérique exploite, sapant la confiance dans les institutions, les médias traditionnels (MJD – Médias de Journalisme à code de Déontologie) et même la science. Cette défiance est un terreau fertile pour la polarisation et l’action des « ingénieurs du chaos ».
  4. Les vulnérabilités aux ingérences étrangères : Les deux rapports, implicitement ou explicitement, pointent la sophistication croissante des opérations d’influence étrangères, qui exploitent nos libertés pour instiller le doute, diviser et affaiblir le projet européen. L’affaire des « étoiles de David » ou les campagnes autour des punaises de lit, analysées par l’Observatoire, en sont des illustrations préoccupantes.

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Les rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) et de l’Observatoire du Long Terme (OLT) ne se contentent pas d’un diagnostic ; ils esquissent, chacun avec ses spécificités, des voies d’action concrètes. Leur mise en œuvre conjointe et coordonnée est la clé pour passer d’une Europe informationnellement vulnérable à une Europe narrativement souveraine.

A. Régulation renforcée et application rigoureuse des cadres existants

  • Passage à l’échelle de la supervision : L’application effective du DSA et de l’AI Act implique un changement d’échelle majeur pour les régulateurs nationaux et européens. Cela nécessite des investissements conséquents en expertise technique (IA, algorithmique), juridique et en ressources humaines pour des entités comme l’ARCOM, Viginum, et potentiellement de nouveaux acteurs, comme un « Défenseur des droits d’expression et de la société numérique ».
  • Bras de fer potentiel avec les plateformes et diplomatie numérique : L’accès aux données et la transparence algorithmique restent des points de friction majeurs. L’UE doit se préparer à des contestations juridiques et à des stratégies de contournement, nécessitant une volonté politique sans faille et une coordination avec les États-Unis.
  • Définition de la « responsabilité » : Ces régulations déplacent le curseur du simple hébergement vers une responsabilité éditoriale accrue des plateformes pour les risques systémiques, ce qui a des implications financières et opérationnelles.

B. Fortification de l’écosystème informationnel européen

  • Lutte contre le « vide informationnel » en investissant dans la qualité : Reconnaître que l’information de qualité est un bien public essentiel à la démocratie. Cela implique des politiques publiques volontaristes pour assurer la viabilité économique du journalisme indépendant et diversifié par des mécanismes de financement indirects (taxation des plateformes, partage de revenus publicitaires) et par une labellisation claire pour les distinguer des « quasi-médias ».
  • Éducation aux médias et à l’information comme priorité sociétale : Un pilier de l’éducation citoyenne, de l’école à la formation continue, pour développer l’esprit critique face à la surabondance d’informations et aux manipulations.
  • Rôle des institutions publiques : Les institutions (universités, académies, services publics) doivent assumer un rôle proactif d’information du public sur leurs domaines de compétence, en particulier sur les sujets complexes ou controversés.

C. Communication proactive et capacités de contre-désinformation de l’UE

  • Souveraineté narrative active : L’UE doit développer ses propres narratifs, basés sur ses valeurs et ses réalisations, et les diffuser activement sur la scène mondiale, plutôt que de se contenter de réagir aux narratifs hostiles.
  • Capacités de renseignement informationnel : Nécessité de renforcer les capacités de veille et d’analyse des menaces informationnelles (type Viginum, mais à l’échelle européenne et avec des moyens accrus), en y intégrant l’analyse prédictive basée sur l’IA et des capacités robustes pour anticiper, détecter, analyser et contrer ces menaces.
  • Doctrine de réponse graduée : Élaborer des protocoles clairs pour répondre aux campagnes de désinformation, allant de la simple correction factuelle à des mesures de rétorsion (sanctions, contre-discours ciblés), tout en respectant la liberté d’expression.

D. Autonomisation des citoyens et protection renforcée de leurs droits numériques

  • Citoyenneté numérique active : Passer d’une vision du citoyen comme simple consommateur d’information à celle d’un acteur responsable et critique de l’espace numérique disposant de plus de contrôle sur leur environnement numérique (filtrage de la négativité, « notes de communauté », transparence des algorithmes et du ciblage).
  • Défis techniques et éthiques pour les plateformes : L’implémentation de contrôles utilisateurs granulaires et d’une modération plus engageante représente un défi technique et un changement de philosophie pour les plateformes.
  • Équilibre délicat : La question du pseudonymat régulé soulève des questions complexes d’équilibre entre protection de l’anonymat légitime et lutte contre les abus.
  • Justice et réparation : Des mécanismes de plainte efficaces et accessibles, tant au niveau des plateformes qu’au niveau institutionnel, sont cruciaux pour que les citoyens dont les droits sont bafoués puissent obtenir réparation.

E. Adaptation technologique et encadrement éthique de l’intelligence artificielle

  • Course technologique : La lutte contre la désinformation générée par IA nécessitera des contre-mesures basées sur l’IA (détection, authentification de contenus) et des outils positifs (ContextBot, pop-ups de « Nétiquette 2.0 »).
  • Gouvernance mondiale de l’IA : L’UE doit continuer à promouvoir son modèle de régulation éthique de l’IA au niveau mondial pour éviter une course vers le bas.
  • Prévention de la « pollution informationnelle » : Le risque de saturation de l’espace public par des contenus IA de faible qualité ou malveillants est réel et nécessite des stratégies de curation et de valorisation de l’information humaine de qualité.

L’heure n’est plus aux constats alarmistes mais à l’action résolue. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos démocraties, mais de projeter un modèle qui allie liberté, responsabilité et respect des droits fondamentaux afin de « sortir du chaos informationnel » actuel et de bâtir une souveraineté narrative européenne, indispensable à notre autonomie stratégique et à l’avenir de notre projet commun.

Discours sur l’état de l’Union 2025 : quelle stratégie pour une Europe-puissance ?

Le discours sur l’état de l’Union, que nous analysons chaque année, prononcé mercredi 10 septembre par la Présidente de la Commission exprime une tentative rhétorique et stratégique de faire basculer l’Europe vers un « projet de puissance ». Face à un ordre mondial fracturé, où les dépendances sont des armes et les démocraties des cibles, la Présidente pose un diagnostic sans concession et propose une thérapie de choc. Comment transformer cette vision en un mandat politique clair et mobilisateur, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières, sachant qu’Ursula von der Leyen est largement contestée tant au Parlement européen avec des motions de censure dans les tuyaux que dans les sondages qui sont majoritairement favorable à sa démission, y compris en Allemagne…

1. Le narratif central : le « moment d’indépendance » comme acte de souveraineté

Le discours acte la fin de la « nostalgie » post-guerre froide. L’indépendance n’est plus un acquis, mais un combat permanent. C’est une réponse directe à la Zeitenwende allemande, mais universalisée à l’échelle de l’Union. La Présidente tente de forger une identité européenne non plus seulement fondée sur des valeurs partagées, mais sur une volonté de puissance partagée pour défendre ces valeurs. L’utilisation d’histoires personnelles poignantes (Sasha, les pompiers grecs) vise à incarner ce combat abstrait, à lui donner un visage humain.

Alors que les États-Unis oscillent entre isolationnisme et interventionnisme, et que la Chine promeut un modèle autoritaire de puissance, l’UE se positionne comme une « puissance responsable ». Ce narratif d’indépendance est moins agressif que le « America First » et plus ouvert que la « renaissance nationale » chinoise. Il s’agit d’une souveraineté stratégique assumée. Le risque majeur est le « say-do gap » (le fossé entre le discours et l’action). Le succès de ce narratif dépendra entièrement de la capacité des États membres à suivre, notamment sur les sujets requérant l’unanimité.

2. Le pivot du « Hard Power » : de la parole aux actes en matière de défense

C’est la partie la plus concrète et la plus récemment nouvelle. L’« alliance des drones » avec l’Ukraine, le « mur de drones » balte, le « Semestre européen de la défense » et le programme « Qualitative Military Edge » sont des concepts imagés, compréhensibles qui sonnent comme une tentative renouvelée de créer une culture stratégique et une industrie de défense véritablement européennes.

L’UE s’inspire ici du modèle israélien (avantage technologique qualitatif) et de l’agilité ukrainienne, tout en essayant de le coupler à sa propre puissance industrielle. C’est une reconnaissance que la sécurité du continent ne peut plus être entièrement déléguée à l’OTAN ou dépendre des cycles politiques américains. Le financement reste la clé, c’est potentiellement le mur de la dette qui se dresse. 800 milliards d’investissements potentiels sont mentionnés, mais leur mobilisation effective sera le véritable test.

3. Le réalignement économique : le nouveau contrat social de la compétitivité

Un an après la publication du rapport Draghi plus que jamais d’actualité, le discours opère une synthèse entre les impératifs de compétitivité (IA, clean tech, marché unique) et les angoisses sociales des citoyens (logement, énergie, alimentation, voitures abordables). C’est la reconnaissance que l’indépendance stratégique ne peut se faire contre les peuples. Le « Small Affordable Cars initiative » (la « e-car » européenne) en est la réponse symbolique pour répondre à la fois à la concurrence chinoise, à l’impératif climatique et au pouvoir d’achat. Le plan pour le logement abordable, s’il se concrétise, serait une avancée sociale majeure, montrant que l’UE s’attaque aux problèmes du quotidien.

L’équilibre est fragile. Le critère « made in Europe » dans les marchés publics sera perçu comme du protectionnisme par nos partenaires alors qu’il s’agit d’une défense de la concurrence loyale (level playing field), et non d’une fermeture des marchés européens.

4. La gestion des crises externes : Gaza, un test de crédibilité

La Présidente a pris un risque politique calculé. En admettant la douleur et la frustration face à la division européenne, elle gagne en crédibilité. Surtout, elle sort de l’ambiguïté en proposant un paquet de mesures concrètes (sanctions ciblées, suspension partielle de l’accord d’association, mise en attente du soutien bilatéral). C’est une tentative de reprendre la main et de sortir de la paralysie.

L’obtention d’une majorité au Conseil sur ces points sera extrêmement difficile. L’annonce elle-même est un acte politique, mais son échec potentiel pourrait affaiblir encore davantage la position de l’UE. L’inaction n’est plus une option.

5. La forteresse démocratique : protéger l’espace public et les citoyens

Contre les menaces internes de la désinformation et de l’érosion de la confiance, un « Bouclier pour la démocratie européenne » et un soutien aux médias locaux sont annoncés. L’angle le plus novateur et le plus puissant est celui de la protection des enfants face aux réseaux sociaux. En se positionnant comme l’alliée des parents contre les algorithmes de « Big Tech », la Commission touche une corde universelle et profondément anxiogène.

En citant l’Australie, l’UE montre qu’elle observe les meilleures pratiques mondiales et qu’elle est prête à agir. Cela renforce son image de régulateur mondial au service des citoyens (The Brussels Effect). Mais, toucher aux réseaux sociaux est un champ de mines juridique et idéologique. L’approche devra être prudente, fondée sur des données scientifiques et des consultations larges pour éviter les accusations de censure.

Refuser la fatalité du déclin, c’est prendre le pari de l’unité et de la volonté politique. Le rôle de la communication sera crucial afin de transformer le « combat » en un projet collectif désirable.

Comment inspirer une vision proactive où l’UE renforce sa cohésion interne et son rayonnement global, en transformant les défis en opportunités de leadership ?

Dans un monde marqué par des transitions géopolitiques rapides, des crises économiques persistantes et des défis technologiques émergents, l’UE doit cultiver un narratif inspirant, ancrée dans des faits vérifiés et une approche critique. Malgré les difficultés, quels développements positifs actuels, en s’appuyant sur des données récentes comme les enquêtes Eurobaromètre, peuvent inspirer une vision proactive où l’UE renforce sa cohésion interne et son rayonnement global, en transformant les défis en opportunités de leadership ?

Une confiance accrue dans les institutions européennes : un fondement solide pour l’avenir

Les dernières enquêtes Eurobaromètre du printemps 2025 révèlent une dynamique positive dans la perception des citoyens envers l’UE, marquant la poursuite d’un tournant encourageant qui traduit un fossé croissant entre les élites de plus en plus critiques et des peuples plus favorables à l’intégration européenne, quoique les Français soient toujours parmi les moins convaincus. Au printemps 2025, 52 % des Européens expriment une confiance envers l’Union européenne, le niveau le plus élevé depuis 2007. De même, la confiance envers la Commission européenne atteint 52 %, un record en 18 ans.

Ces chiffres ne sont pas anodins : ils reflètent une résilience institutionnelle face aux turbulences récentes, comme les tensions géopolitiques et les pressions économiques. Par ailleurs, 75 % des citoyens se sentent « citoyens de l’UE », un record sur plus de 20 ans, et 62 % sont optimistes quant à l’avenir de l’Union. Ces indicateurs soulignent une légitimité renforcée, essentielle pour des réformes institutionnelles ambitieuses, telles que celles envisagées dans le programme de travail de la Commission pour 2025, qui inclut une stratégie pour la société civile européenne.

Critiquement, ces progrès ne masquent pas les défis : l’économie et la sécurité dominent les préoccupations, reléguant le climat plus bas dans les priorités, selon l’enquête réalisée lors du dernier scrutin européen en 2024. Pourtant, 73 % des Européens estiment que leur pays a bénéficié de l’adhésion à l’UE, citant la paix, la coopération entre États membres et la croissance économique comme principaux atouts. Cette perception positive, vérifiée par des données, contraste avec des narratifs populistes et invite à une communication stratégique plus affirmée pour consolider ces gains.

Comparativement, aux meilleures pratiques mondiales, l’UE peut s’inspirer des approches innovantes comme celles de la Suisse, dont la stratégie de communication à l’étranger 2025-2028 met l’accent sur une promotion cohérente de l’image nationale via des partenariats multilatéraux. Aux États-Unis, les campagnes fédérales intègrent l’IA pour personnaliser les messages, une tendance que l’UE pourrait adopter pour amplifier sa voix, comme le suggèrent les tendances globales de 2025 en communication : data storytelling et humanisation des marques. L’UE excelle déjà dans ses task forces de communication stratégique au sein de l’EEAS, mais un alignement plus étroit avec ces pratiques pourrait élever son influence, en évitant les pièges observés dans ses échanges avec la Chine, où une communication réactive cède trop de terrain narratif.

Soutien à l’élargissement et à la défense commune : des piliers de stabilité géopolitique

L’actualité récente met en lumière des avancées politiques prometteuses, notamment en matière d’élargissement et de sécurité. Selon l’Eurobaromètre spécial consacré aux élargissements de septembre 2025, 56 % des citoyens soutiennent un élargissement futur de l’UE, avec un appui particulièrement fort chez les jeunes (deux tiers des 15-39 ans). Les bénéfices perçus – influence globale accrue, marché élargi pour les entreprises, emplois et sécurité renforcée – renforcent l’idée d’une UE dynamique et inclusive. Dans les pays candidats, le soutien reste élevé, comme en Albanie (91 %) ou en Ukraine (68 %), témoignant d’une attractivité persistante de l’UE malgré les défis.

Sur le plan institutionnel, 81 % des Européens plaident pour une politique de défense et de sécurité commune, et 68 % souhaitent un rôle accru de l’UE face aux crises internationales. Ces chiffres illustrent une convergence, comme le suggère le think tank Bruegel vers « Thinking European first and its implications » favorisant une unification politique plus profonde. De plus, 85 % des citoyens lient les fonds UE au respect de l’État de droit, renforçant la crédibilité institutionnelle.

L’approche de l’UE en matière d’élargissement et de défense pourrait davantage s’aligner sur les meilleures pratiques des alliances comme l’OTAN, qui intègrent une communication stratégique pour bâtir la confiance. Critiquement, bien que des divisions persistent, comme le souligne le rapport Munich Security 2025, pour lequel l’UE se trouve dans « A Perfect Polar Storm », l’UE démontre une capacité à contrer les vents contraires par une intégration flexible.

Attentes économiques élevées : un appel à un budget commun pour transformer les défis en opportunités

Les données mettent en lumière des attentes économiques grandissantes qui ouvrent la voie à une intégration plus profonde et proactive : l’inflation, la hausse des prix et le coût de la vie dominent les priorités internes, surpassant même la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans un contexte de crises mondiales, l’économie est là encore davantage perçue comme le talon d’Achille  de l’UE, alors que les élites le présentent comme son point fort – les citoyens sont encore frustrés par les résultats et ils attendent un leadership économique renforcé.

Pour la première fois interrogés sur le budget pluriannuel de l’UE (MMF), les citoyens expriment une vision claire et ambitieuse que de plus en plus de projets doivent être financés collectivement par l’UE plutôt que par les États membres individuellement, de manière consensuelle qui transcende les clivages. Là encore, une maturité citoyenne, où les Européens, bien que mal informés sur les détails du MMF, perçoivent intuitivement le besoin d’une solidarité financière accrue pour atténuer l’inflation et le coût de la vie. 

En reliant ces attentes à la cohésion interne, l’UE peut forger un narratif où un budget commun n’est plus perçu comme une contrainte, mais vraiment comme un outil de leadership, protégeant les citoyens tout en boostant le rayonnement global.

Inspirer l’action pour une UE leader mondial

Les données actuelles peignent un tableau optimiste : une confiance record, un soutien à l’élargissement et à la défense positionnent l’UE comme un modèle de résilience. En adoptant des meilleures pratiques tout en restant vigilant face aux divisions, l’UE peut transformer ces avancées en un leadership inspirant. Imaginons une Europe où chaque citoyen, armé de faits, contribue à un narratif collectif de progrès. C’est le moment d’agir : renforçons nos communications stratégiques pour un avenir où l’UE non seulement survit, mais rayonne, c’est possible.

Quelles perspectives pour la communication de l’UE sur les médias sociaux ?

L’Union européenne, dans sa quête d’une communication efficace, reconnait de plus en plus le rôle des plateformes de médias sociaux pour interagir avec les citoyens et projeter ses valeurs fondamentales, mais concrètement quelles sont les perspectives ?

Enjeux de la communication de l’UE sur les médias sociaux

Idéalement, l’UE voudrait aligner ses objectifs politiques aux innovations technologiques afin de communiquer librement dans un environnement numérique caractérisé par la sécurité, l’ouverture, la créativité et la confiance. Mais, la réalité est beaucoup moins rose, il s’agit de naviguer dans les complexités de la diffusion de fausses nouvelles et de vivre dans un monde dominé par quelques grands fournisseurs de services dans le paysage des médias sociaux. L’Union doit s’efforcer de trouver le bon équilibre entre ces contradictions.

En outre, l’environnement européen des médias sociaux est distinct en raison de lois sur la protection des données, telles que le Règlement sur les Services Numériques (Digital Services Act – DSA) et le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui influencent la manière dont le contenu est géré, la publicité est menée et les interactions des utilisateurs sont traitées.

De plus, le paysage culturel et linguistique diversifié du continent nécessite une approche nuancée de la création de contenu, adaptée non seulement aux différentes langues mais aussi aux contextes culturels variés et aux préférences régionales en matière de plateformes. Cette hétérogénéité souligne la complexité de l’élaboration d’une stratégie de communication unifiée de l’UE qui résonne efficacement dans tous les États-membres.

Un défi fondamental dans l’utilisation des médias sociaux pour la communication de l’UE réside dans la double promesse d’un ciblage « efficace » de la diversité des citoyens et que le contenu lié aux politiques soit « compris » et suscite l’engagement. Compte tenu de la faible identification des citoyens avec l’UE, les efforts qui transmettent la cohésion politique sont primordiaux. Comprendre la construction sociale et le sens politique de ces plateformes est crucial pour favoriser une sphère publique européenne plus forte et promouvoir une plus grande intégration.

Paysage des plateformes et des usages des institutions européennes

Bien que les plateformes établies comme Twitter-X, Facebook ou LinkedIn restent centrales dans la communication de l’UE, il existe une impulsion pour explorer des plateformes comparativement « nouvelles » pour les institutions européennes et s’adapter à la popularité évolutive des plateformes comme Instagram, WhatsApp, TikTok et YouTube, qui comptent d’importantes bases d’utilisateurs à travers l’Europe, un intérêt « incontournable » pour l’UE d’explorer ces plateformes même si elles sont loin de s’aligner sur les valeurs européennes, notamment de protection des données.

En théorie, la capacité des médias sociaux à renforcer la participation citoyenne et à améliorer les processus démocratiques ne dépendrait que de « recettes » liées à des stratégies qui privilégient l’interaction, l’inventivité et la transparence. Cependant, les études pointent un paradoxe potentiel où une utilisation plus élevée des médias sociaux est associée à une confiance moindre dans l’UE. Cela suggère que la simple présence des institutions de l’UE sur les médias sociaux est insuffisante pour cultiver la confiance et peut, dans certains contextes, contribuer à son érosion.

Le contenu et le contexte de la communication jouent un rôle crucial dans la formation de la perception des publics. De plus, la capacité de l’UE à surveiller et évaluer efficacement l’impact de sa communication sur les médias sociaux, notamment pour contrer la désinformation, est entravée par les limites de la qualité des données et de la comparabilité des rapports de transparence fournis par les plateformes de médias sociaux. Ces lacunes empêchent une compréhension globale des politiques et pratiques des plateformes, posant ainsi un défi à l’élaboration de stratégies fondées sur des preuves et à une surveillance efficace.

Tendances émergentes dans l’utilisation des médias sociaux par l’UE

Les prévisions peuvent suggérer plusieurs tendances émergentes qui façonneront la manière dont les institutions de l’UE utiliseront ces plateformes pour leur communication :

1. Un changement notable est la nature évolutive des réseaux de médias sociaux eux-mêmes, avec des plateformes comme Instagram et TikTok ressemblant de plus en plus à des réseaux médiatiques axés sur la consommation passive de contenu plutôt que sur un engagement significatif. Cette évolution nécessite que les institutions de l’UE adaptent leurs stratégies, en adressant les conséquences de plateformes privilégiant un contenu piloté par des algorithmes.

2. Le contenu généré par les utilisateurs continuera probablement sa domination, en stimulant l’engagement, représentant une opportunité pour les institutions de l’UE de s’associer avec des créateurs de contenus pour produire un storytelling authentique qui résonne auprès des publics cibles et renforce la confiance.

3. La croissance des communautés privées comme les groupes Facebook et les fonctionnalités plus communautaires sur Instagram indique une préférence des utilisateurs pour des espaces en ligne plus intimes et ciblés. Les institutions de l’UE pourraient envisager de créer ou de s’engager dans de telles communautés pour favoriser des liens plus profonds avec des segments d’audience spécifiques. L’importance croissante de la messagerie privée comme WhatsApp pour établir des liens plus forts et plus personnels avec les audiences doit également être notée.

4. L’intelligence artificielle est appelée à transformer la création de contenu à grande échelle, avec des outils d’édition de contenu, de traduction et d’interactions personnalisées devenant plus accessibles. Cela nécessitera une réflexion approfondie sur les implications éthiques et le maintien de l’authenticité.

5. Des réglementations plus strictes dans le prolongement du DSA devraient continuer à façonner le paysage des médias sociaux avec une plus grande responsabilité des plateformes en matière de sécurité des utilisateurs et de protection des données, y compris des exigences plus strictes pour la modération de contenu et la transparence.

6. L’émergence de nouvelles plateformes, telles que Threads et Bluesky, offre aux institutions de l’UE des voies supplémentaires pour se connecter avec de nouveaux publics. Les institutions européennes pourraient explorer également des réseaux sociaux « nostalgiques » émergents qui mettent l’accent sur l’authenticité et l’interaction véritable.

7. L’hyper-personnalisation, alimentée par l’IA avancée et l’apprentissage automatique, sera exploitée par les plateformes de médias sociaux pour adapter le contenu aux préférences et comportements individuels, exigeant des institutions de l’UE qu’elles se concentrent sur la création de messages très pertinents et personnalisés pour engager efficacement leurs audiences.

8. La réalité augmentée devrait devenir plus intégrée aux médias sociaux, offrant des expériences immersives grâce à des filtres et des essais virtuels. Les institutions de l’UE pourraient explorer le potentiel de la RA pour améliorer l’engagement des utilisateurs avec leur contenu.

9. La croissance des communautés de médias sociaux de niche répondant à des intérêts spécifiques pourrait fournir des espaces pour les institutions afin de se connecter avec des audiences très engagées. Les citoyens attendront de plus en plus des institutions qu’elles démontrent un engagement sincère en faveur de la durabilité et de la responsabilité sociale, influençant leur engagement.

10. Bien que certaines de ces tendances pointent vers une augmentation de la consommation passive de contenu sur certaines plateformes, la valeur fondamentale des médias sociaux pour la participation et l’engagement actifs des citoyens reste essentielle pour favoriser l’unité et la confiance dans le projet européen. Les institutions de l’UE sont confrontées au défi stratégique de concevoir du contenu et des campagnes qui non seulement captent l’attention dans un environnement de consommation passive croissante, mais sollicitent aussi activement la participation, le dialogue et les retours des divers publics européens.

Les médias sociaux représentent un potentiel significatif pour aider à combler les fossés numériques et à favoriser l’unité européenne. Le concept d’un réseau social européen dédié pourrait jouer un rôle crucial dans le renforcement de l’identité européenne et la promotion d’un sentiment d’appartenance en servant de canal principal pour les communications institutionnelles tout en promouvant le multilinguisme et les valeurs européennes.